OUVERTURE FACILE (extrait)


ouverture
Ça commence ici.

Tirez la languette. Dépliez le feuillet. Soulevez la première de couverture.

Tout est facile.

Dans le style français (BWV 831).

Pas lyrique, plein champ.

Ça commence ici. Ça se complique là.

e2-e4

J'ai pourtant l'opportunité de m'expliquer, coulé dans ma boue, la roche en surplomb, l'air me heurte et me fait aussi avancer, un grand livre, qui ne rêve d'écrire un grand livre, perché sur l'épaule du temps, du moins quelque chose d'inhabituel, exploration de la matière, matériaux-monde en était un titre, je m'insinue dans les choses, entre le réel, pas moins chaussures qu'a/t/o/m/e/p/a/r/a/t/o/m/e, description à tous les niveaux d'homme (densité, température, focale), prendre alors le pas sur ce qui vient, je prends alors le pas sur ce qui vient.

Comment entrer dans la matière? L’écoulement du mercure (la fontaine de Calder à la Fondation Mirò de Barcelone) n’est pas celui de l’eau. Développer le « ça se voit ». Pas à pas. D’un jugement statistique. Poids, masse, volume, agglomération, scintillement, écoulement, résistance, granulation et la poésie même. Le Malherbe de Ponge savait compter, nous saurons (lire) la matière. C’est entrer dans la peau du monde, pas de futilité donc! entre le parquet et le tapis — passages. C'est aussi ce curieux phénomène qu'onje saits comment seront les choses à notre contact. Sans lunettes, c'est la lumière du monde. Organiser les objets avec le regard. Placer un poteau, un arbre au milieu d'une fenêtre.

Ce qui vient. Le paysage encore une fois fonction de la fenêtre d'un train — découpage — d'un — convoi — plan — par — plan — dehors — dedans — cette ouverture est un passage.

Sonogno, 25 juillet 2005
La main traverse la pluie. La pluie tache la main. Constellations. Le blanc du ciel déchire la montagne. Effacement. La texture des morceaux d'air. Ce petit vent de pluie (il l'accompagne, la pilote) sur ma main. Ici est ici. Marqué comme tel. La pierre — derrière la pluie — est plus claire que la pierre — sous la pluie. Une aventure, la mienne, ces lignes claires. Ce qui remue, c'est moi. Tout le reste se comporte comme il se doit. Mon monde est absurde, pas le monde.
Les poutres porteuses en tension invisible. La plume effleure ma table de chevet. La balle de plomb presse le bois. La pierre est plus lourde et couvre plus de surface que la balle de plomb et la plume de kératine. La table de chevet tient sur quatre pieds rectangulaires sur le parquet en bois de pin. Premier étage d'une maison fondée dans un mélange de terre et de pierre.
Mon pays n'est que la surface. Je repose sur mon pays. Je ne suis indiqué sur aucune carte de géographie de mon pays. Si je restais en place, je pourrais peut-être figurer sur une carte de géographie de mon pays. Les plis des cartes donnent des indications sur la façon de la plier. Dans les plis des cartes, je ramasse des miettes de pain, de l'herbe, des grains de poussière, pollens. Les plis sont décolorés. D'une autre texture, pelucheuse, qui ne dit rien sur ce qui s'y passe. Qui dit beaucoup d'elle-même.
Quand je penche mon corps au balcon. Quand je penche mon corps au balcon, je suis dedans-dehors, partagé, à moitié sec-mouillé. Je retire ma main. Change l'équilibre des choses. De la phrase. L'eau sèche. Une goutte sur ma main a la forme du sommet d'un arbre arrondi par la brume. Je ferme la porte-fenêtre, replie la carte et rejoins le lit où j'écris depuis 10 minutes.
Les sons n'appartiennent pas aux choses. Ce sont leurs irritations. Surchauffe.

Je pose la machine à fabriquer du texte sur la machine-monde. La physique dit, tu ne toucheras point, et je touche la table, je sais ce que son toucher sera avant même de —doux du grand arbre abattu pour que je puisse me mettre à table doux dur et froid, plutôt frais, veinules dans le bois, nuances de blanc, ça brille aussi, lame-grain d'un certain espacement, les lettres ne sont pas loin, ma machine noir sur le bois blanc, pousse, quelque chose cède, c'est souvent la machine, plombée, le réel se tient compact, les forces faibles sont forces fortes. La physique dit, tu ne pèseras point, et je de tout mon poids, mon corps appuie sur la table, touche, mon "t", entre "r" et "z", mon "a" entre "s" et la majuscule, la table en majuscule, debout, on croit pourtant que l'air ne circule pas dans la matière, je pousse, ma masse fait front, une marque réciproque, attirance. Je ne touche pas les couleurs, je ne pèse pas les couleurs, la physique dit, la physique ordonne, et je fais cette expérience, jusqu'à comprendre comment je pourrai m'insérer dans la matière, peser sur elle, percer un trou dans les choses, je n'arrive encore à rien, frappe la matière, blanc, clavier, noir, monde, blanc, noir-blanc.

Quelque chose s'origina.
Tabula rasa.

Un point d'appui.

Comme l'œil du faucon plonge dans les choses, avec la précision du microscope électronique, mon texte à grande vitesse (1000e de seconde) minimise l'aberration chromatique propre aux objectifs de longue focale (600mm f/4D). La distorsion et la courbure de champ sont également réduites par l'appareil syntactique.

retour aux hommes 1
Les événements forment le monde, tissus d'objets en mouvement, en cours, la «famine au Mali» rassemble des hommes épars, réunis les morceaux — os os os os os os os os os. La guerre du Golfe est un événement d'une durée indéterminée, d'une trame quotidienne — matière : assassinat, un événement composé d'autres événements, c'est ainsi quand je cours, ma tête ma main mes jambes, fréquence, à quelle densité, les conditions qui font qu'on reçoit un événement, qu'on l'organise, hiérarchies, proximité, média. La vue est l'organe le plus, et le cerveau? tu n'as rien vu à Hiroshima, savoir n'est pas voir ça? le 11 septembre 2001, j'étais dans l'îlot 13, à Genève, Julie était le 11 septembre, avec moi en Suisse, deux avions sont entrés dans deux tours, nous n'étions ni tours ni avions, nous sommes père et fille, dans un café entré, le café du Centre, centré les deux tours, la télévision montrant une fiction, au moment de l'histoire où le second avion dans la deuxième tour (ou était-ce le premier avion dans la seconde tour?), je n'ai pas eu (du) mal avec ça, tous les jours des hommes, et peut-être une leçon, contre l'arrogance, rogance. La tasse, sur la table attire la table en proportion de sa masse, à savoir F = -G.Mm/r2 mais nous n'avons rien bu dans ce café, reposer la tasse, la remettre en place, en ordre avec l'attraction. Les immeubles tombent gris, en poussière, les Indiens reviennent à New York, aucune alternative au capitalisme généralisé, écrire alors en minuscule, pas de porte-drapeau, pas de tristesse non plus, les individus à la télévision sont toujours abstraits.

Plus loin encore, l'air est la distance et la matière, écran plasma, coulé, liquide, humeur, entre moi et l'événement, la science dit, tais-toi, ça n'existe pas le rouge, je dis rouge c'est ceci (je montre), rouge c'est ceci (je montre), rouge c'est ceci (je montre). L'espace est la matière des choses. Je suis la matière de l'espace. Ce que la poésie pense depuis Mallarmé, l'espace & moi-matière, j'ai la densité d'une goutte de plomb (82Pb207.2) assis dilué, debout, je regarde, vaporeux les étoiles mortes de la télé.

Je reprends d'où ce n'est plus possible, la terre pas envisagée, loin du monde matière mot, recoil d'extraterrestritude.

Marseille, le 12 octobre 2005
1. Dans mon corps aussi. Prendre une place. Ma matière a mal. Décalé. Le sol est loin. La question est celle de la narration — flux. Ma langue s'écoule, vers l'avant, en surface, dans l'arrangement naïf des formes, leurs descriptions, ma langue pénètre la surface, la croûte du monde, ma langue fouille, devant cette table ne pas s'arrêter, devant ce mur ne pas s'arrêter, pousser les mots ne pas s'arrêter, lancer les mots à toute vitesse contre les objets — pour qu'on en voie les chevilles, les coups, la lame étincelle, l'odeur du bois, la scierie dans les Alpes, jusqu'aux conditions météorologiques, la neige, le brouilllard bas, l'humidité, qui fait gonfler le bois, concave les planches, entassées à l'abri d'un avant-toit, hangar en tôles ondulées, de la glace se forme dans les replis les plus froids, planches râpeuses, planches pleines d'échardes, l'ouvrier clandestin les prend dans ses mains, les porte avec des gants, l'ouvrier clandestin est venu de loin, sans repère, planche de salut? l'ouvrier clandestin a souvent froid, ne retrouve pas le goût de, n'a plus goût à, l'ouvrier clandestin parle souvent avec la lame de feu dans une langue incompréhensible, à blanc, cerveau déplacé, je fè koi ici?
2. Taille, carrière, comme s'il s'agissait d'une personne, taille, carrière, transport fluvial, les algues retardent la marche, une grève le lendemain, blocs de grès acheminés par camions innommables, le bruit des machines à merde, puis chaque pierre à sa place, combiner, encastrer, ajuster, en surface, monter un bout du monde — passer entre le tissu, la matière écartée, rouge, brun, rouge, jaune, atome de carbone combiné à, reprendre la faille, là où elle commence, prolonger du doigt, aller à ce qu'on écrit, comme l'on mange, déroute de soi, habitudes, et pourtant, savoir, savoir que je vais toucher le monde de cette façon, caresser sa peau, le mettre à une température qui vient aussi du dedans.

Il faut trouver cette liberté d'écriture, pas de projets donc, tout dans l'instant, dans la tension de la ligne qui se fait.
Le livre est un espace.
C'est l'atmosphère de cet espace qu'il faut inventer, qu'on s'y sente comme dans un lieu, bien, souvent, mal, parfois, comme face à un nouveau paysage ou qu'on vient d'entrer dans une pièce, franchir un seuil, palier. Un espace d'enjeux et de luttes (tenter de franchir).

La matière est là. Déplacer quelque chose. C'est entrer. Le cinéma se move. L'air qu'on occupe. Difficile puisque respirer, c'est lui faire de la place en nous (moi). Nécessité de bouger. Nous dirons que je marche. Je suis sur le sol d'une ville. Déjà le bitume. On ne dérange pas la place qu'on occupe au cinéma. Mouvements perceptifs, réflexifs. Je n'en suis pas satisfait. Je sors dans l'air. Le vol attendra. Attentif. Où doit-on regarder? Sous peine de mort. Sous le bitume, la terre, roche (animaux?). Déjà des animaux. Ils arrivent un peu tôt. Par la tête. Ça se complique. En attendant autre chose. L'objet ricane. Pas de surréalisme. Je prends un casque. Je prends une pioche. Je suis dès lors invisible. Tuyaux, lignes, coudes. Eaux usées, usinées, gaz, gaines électriques. Un mètre carré de bitume. Ici, quand le sol tremble, c'est le tram. Pont élastique. Le travail raidit. C'est un paradoxe. Je cherche la souplesse. Phrase élastique. Déjà des questions. Animaux nus. J'ai chaud. Il fait froid. Le manche de la pioche est en bois. Il faut y aller. A un grand livre. Il a dit couper du bois lui suffit. Suffit à son bonheur une semaine. Et le reste du temps? J'enlève des morceaux de bitume. Noir, gris. Gâteau, croûte, grain. Suffit.

Partir d'égal à égal avec le monde, peau à peau, dans des activités de surface (apprivoisement).
Habitude silencieuse, on s'étend, prendre corps. Les choses marquent sur nous, déteignent, empreinte de notre poids répétées, empreintes des pieds, des mains, doigts dans la terre, ton sexe.
C'est une entrée. Sinon collision de particules, collection ou chasse.
Tester le réel. Doux, dur. A crever une surface inéluctable, fureur, obstination à frapper et refrapper du carbone sur du papier.
Stratégie mimétique — jouer sa peau.
La bonne configuration. La bonne température. La bonne tension. La bonne densité.
Moudre le réel, les grains de la table en la passant au tourbillon syntactique (leptons, hadrons, bosons, tout l'alphabet de la matière, etc.).


[…]