III. PAR RAFALES (extrait)



Ma densité fait peur. Je m'appelle Warj. Je ne crois pas que le retour à l'ordre des choses soit nécessaire. Qu'en pensez-vous? Je m'appelle Warj. Je reviens dans la phrase. Je reviens de loin. Je suis mort deux fois. Warj Dolski. Le retour à ma densité n'est pas nécessaire. L'ordre des choses est l'ordre de la phrase. Je suis mort deux fois. Qu'en pensez-vous? Vous avez peur. La phrase bégaye. Je reviens.

Pour autant qu'il puisse en juger, on parle ici de son désordre mental et de sa responsabilité juridique, le corps est emballé dans un rideau de douche, un rideau en plastique transparent, motifs à fleurs rouges, c'est bête, mais il se dit qu'elle va étouffer là-dedans, qu'elle va étouffer, morte, le plastique, rigide, passe sur sa peau rigide et les fleurs font comme des étoiles de sang, avant de la glisser dans le coffre de la voiture.

Je suis sous terre. Ma bombe part de là.

À 100 mètres, tournez à gauche. Marchez 40 mètres. Arrivé au feu rouge, traversez le passage clouté et entrez dans le bar sur votre droite. Elle est assise à la fenêtre. Elle fume ou elle vient d'éteindre sa cigarette. Vous verrez d'abord ses yeux. Elle lit ou elle vient de poser son livre. Vous regarderez aussi ses mains. N'ayez pas peur. Vous pouvez lui parler. Quand vous aurez fini, ressortez par où vous êtes entrés. Le cinéma est au bout de la rue, à 300 mètres de là. Sinon rentrez chez vous et marquez cette journée d'une pierre blanche. C'est tout ce qu'il vous reste à faire. (Ce n'est pas ce jour-là que vous partirez à la guerre.)

Sous terre, c'est gris, pas comme on croirait d'emblée.

Warj bloque la balle. Warj est gardien de but. Sous terre. Il défend un territoire qu'il s'agira d'explorer. Il pousse les choses un peu plus loin. Il retient la balle et ses émotions. Il dégage jusqu'aux seize mètres de l'équipe adverse. L'équipe adverse, c'est tout-le-monde et l'adversité. L'équipe adverse, c'est tous les jours, dans la rue. Il rêve de mettre un but à l'équipe adverse depuis ses propres seize mètres. Son territoire fait seize mètres (en fait, 16,50 m). C'est sa surface de réparation. Il est chez lui.

Depuis 1892, le gardien de but peut toucher le ballon de la main dans sa surface de réparation et pas sur toute sa moitié de terrain, comme c'était le cas jusque-là.

Il a creusé des galeries sous le terrain. Tous les quinze jours, il joue à domicile. C'est alors qu'il utilise ces tunnels. Quand le ballon est dans le camp opposé, quand il a dégagé au pied (il sait aussi dégager à la main), il descend. Il passe sous l'herbe. On ne peut pas dire qu'on l'ait vu descendre (ni même remonter). Tout d'un coup, il n'est plus là. Il entend l'entraîneur qui hurle. Il entend l'entraîneur qui l'appelle. Sa voix résonne dans le souterrain. Il sait quand il doit remonter. Il devine tout seul lorsque c'est le moment, lorsque les attaquants adverses sont sur le point de shooter ou de centrer vers son but. Tout d'un coup, il est à nouveau là et capte le ballon avec aisance, naturel même.

Le 30 mai 2006, le gardien de l'équipe de Colombie, Luis Enrique Martinez, a marqué depuis sa propre surface de réparation. Tomasz Kuszczak, son vis-à-vis de l'équipe de Pologne, n'a en effet pas su évaluer correctement la trajectoire du ballon, après son rebond, se faisant ainsi lober (2-0; score final 2-1).

C'est un étang. Rien ne bouge. La nuit. Il ouvre le coffre de la voiture. On entend peut-être des grenouilles ou des crapauds. Il se peut que ce soit noir, noir et silencieux. Il se peut qu'il doive attendre que des pique-niqueurs ou des amoureux quittent le parking au bord de l'étang. Il est arrivé trop tôt. Il repart. Il fait un tour. Croise une voiture de police et deux ambulances. Le vent abrège sa cigarette. Le corps glisse dans l'eau multiple. Il brûle les habits et le rideau de douche à l'abri du pont autoroutier.

Passage — les nuances ne se font plus attendre, elles nous chassent, poussent dans les coins, repoussent dans les recoins, je joue avec l'obscurité et avec la lumière, c'est peut-être une interface électronique, un sous-bois, je pleure sept grammes de larmes dans une bassine de pierre, sans pouvoir retrouver l'équilibre, juste une terrible fatigue et l'impression que mes yeux se décollent, roulent hors de la tête, ce territoire perdu — le pire étant de marcher dessus — je fais alors un pas de côté —

Intérieur noir. Sous quelque chose. Sous l'ordre des choses. Des siècles de littérature. Dans le coffre de la voiture. Une étoile. A travers la tôle. Un moment oscille. Vague lumière. Une étoile sous la terre. Les lumières du stade sont éteintes. Vagues. La mer est calme. L'étang est calme. Ma tête est calme. Dans l'intérieur de ma tête. Noir. Le désordre de la chambre. La chambre en désordre. Des habits partout. Jetés. Brûlés. Pas la même pression. Obstacle visuel. Densité de l'eau. Poids de la terre. Je respire de l'air. Sous terre. Dans l'eau. Je respire de l'air jusqu'à maintenant. (Et fume mes mots.)

Contrairement à la légende, les premiers stades anglais sont rarement «à l'anglaise», c'est-à-dire de forme rectangulaire en suivant les lignes du terrain au plus près.

On présente le monde. On s'attache à lui. Malgré une certaine mesquinerie. Personne ne se tient que d'un seul côté des choses. Il vaut mieux s'asseoir, on en aura pour un moment. Je dirais les objets d'abord. Ou la matière du monde. Chaque chose en son temps. Nous avons tout notre temps. J'arrache des membres à moi-même. C'est une façon de procéder qui me tient à cœur. — La pipe, la bougie, l'éteignoir — L'aigle, l'hérisson, l'armée suisse — Le cheval à bascule, la bascule du temps, un hydrocéphale — Pierre, granit, or du temps — Silence, souffle et un verre d'eau.

Les projecteurs du stade s'allument. Warj est seul sur le terrain. Le terrain est une scène. Une ombre balaie les gradins. Warj court. Il s'étire et s'assouplit. Sol entre sur le terrain. Personne n'annonce son entrée. Sol porte un survêtement avec le numéro 10 et un ballon sous le bras. Il va à l'opposé du terrain. Il prend place dans l'autre camp. Il pose le ballon sur le point de penalty. Sur la marque de craie, ronde, à 11 mètres de la ligne de but. Il frappe le ballon avec le coup de pied. Le ballon touche la barre transversale et entre dans le but. Le filet vibre dans un bruit de vent sur l'eau.

On n'a pas vu d'arbres depuis 200 ans.

Il recommence, plusieurs fois. Varie les effets. Raz de terre, à gauche, à droite. Warj se rapproche de Sol. Warj le regarde tirer et se place dans le but. Sol pose le ballon sur le cercle de craie, au centre de l'univers. Il le frappe de l'extérieur du pied. Warj part du bon côté. Sa main gauche pousse et prolonge le ballon qui heurte le poteau gauche des buts. Le ballon sort au-delà de la ligne de fond. Sol place le ballon dans le triangle du coup de coin. L'ombre descend des gradins et se met à l'orée de la surface de réparation. Sol tire et d'une tête dans la lucarne droite l'ombre marque. Warj n'a pas bougé.

Il est cependant de notoriété publique que les feuilles, l'automne, jaunissent et tombent.

Ce qui suit est moins clair. Le tableau d'affichage s'allume. Il marque 7-5. Warj semble toujours immobile. Les trajectoires du ballon deviennent difficiles à lire. Le public gronde. D'autres joueurs font leur apparition, des hommes, mais aussi des femmes. Leurs tenues sont bariolées. Warj sort du terrain sous les sifflets du public. Il regarde ses pieds. Celui qui le remplace fait près de deux mètres de hauteur et plus de cent kilos. L'éclairage du stade s'éteint. On entend alors les cris des joueurs dans la nuit. Les appels de balle. Comme dans un rêve.

On sait également que les feuilles bougent dans le vent. Et que leurs mouvements est impossible à décrire (à modéliser).

Warj est dans les vestiaires sous un éclairage aux néons. Ça sent la pommade et la sueur. Il est seul. Il est assis sur un banc. Il tient la tête entre ses mains. Ses gants sont par terre. Il regarde les carreaux blancs à ses pieds. Ses chaussures à crampons sont pleines de terre et d'herbe qu'il enlève avec soin. Demain, il joue à la maison. Et Sol sera avec lui. Il ne sait pas pourquoi il aime bien Sol. Il n'a aucune mémoire des épisodes précédents. Il met la tête sous l'eau froide. L'affichage du score dans les vestiaires indique maintenant 16-11. Un joueur qu'il ne reconnaît pas entre dans le vestiaire. Il s'assied. Il prend sa tête dans les mains. Quand Warj sort, l'autre enlève la terre incrustée dans ses chaussures à crampons.

L'absence d'arbres voulait aussi dire l'absence d'hommes.

Depuis les années 1880, la forme elliptique des tribunes était courante. Une piste plane ceinturait souvent le terrain de football afin de permettre la tenue de courses de lévriers ou de Speedway.

Ils sortaient du stade et disparaissaient.

Passage — faire que le texte mette le grappin sur plusieurs points du monde en même temps, oui, qu'il jette l'ancre pour stopper sa course, oui, mais qu'il se rattache, à partir de cet endroit instable en eaux troubles, à une infinité de lieux qui sont autant de multiplicités, avec, à leur tour, leur point d'ancrage et leurs ouvertures, déclinaisons, passages, une abondance d'écarts et d'intrications qui nous font perdre la tête si l'on essaie de les convoquer en même temps, de les embrasser dans un même regard, oui, surplomb dont il ne reste que le vertige —

Je suis assise face à la fenêtre, un peu interloquée, j'ai à peine le temps de lire, d'allumer ma cigarette et de l'éteindre, tous les quart d'heure des hommes se présentent à moi, des hommes venus toujours du même endroit, apparaissent au coin de la rue ABC, jamais là par hasard, mais pas un de ces idiots pour me dire qui les envoie, qui les envoie par vagues successives, masses d'hommes dont je n'ai rien à faire, échéance de rencontres programmées que seule ma beauté devrait expliquer, sans que ce qui me flatte en cela ne suffise à effacer une irritation grandissante à mesure que je me rends compte que je ne peux plus lire, que je ne peux plus fumer à cause de ces visites intempestives autant qu'inutiles, puisque tous et chacun de ces importuns sont systématiquement rejetés.

Sol est un joueur remarquable. Sol est d'une envergure internationale. Sol couvre la terre de son pied droit. Dans son armoire, Sol a 100 maillots de football, tous différents les uns des autres. Le soir, avant d'aller jouer, il choisit le numéro qu'il compte mettre, en fonction de la place qu'il va occuper sur le terrain et la couleur qu'il va porter selon l'intensité qu'il compte donner à la partie. Dans son armoire, Sol a 100 paires de chaussures à crampons. Chacune d'entre elle, de la même marque, combine de façon toujours différente les 10 crampons tantôt vissés, tantôt moulés. L'armoire de Sol contient aussi des shorts, des survêtements, des chaussettes et des protège-tibias en nombre indéfini.

Tentative du monde extérieur : l'armoire de Sol, la grande vitre du café, les rues qui conduisent au café, la jeune femme et ses prétendants, l'étang, des grenouilles ou des crapauds, le cadavre d'une femme, le coffre de la voiture de l'assassin, des restes de tissu et de plastique calcinés, une étoile à travers la tôle du coffre de la voiture de l'assassin, la beauté, des grappins et des ancres, enchevêtrés, l'absence et la pléthore d'arbres, de feuilles, le gris, le noir et le rouge pour le moins.

Elle attend autre chose de la vie. Elle attend qu'une voiture s'arrête. Elle attend qu'un voiture signe sa mort. Qu'une voiture l'efface et du même coup biffe son attente, raye toutes ses attentes futures. Elle attend d'être projetée.

En réponse à une interrogation.
Qui sait où il va.
Elle donne n'importe quelle destination sur cette route. Comme un éclair au loin.

Ce qui sera le second cadavre de l'histoire s'assoit sur le siège du passager, face à la vitre, pare-brise mouillé où passent deux essuie-glaces qui chassent régulièrement, et avec efficacité, la pluie.

La phrase suit le corps nu de la femme couché dans les feuilles mortes des pieds jusqu'à cette blessure au cou d'où s'est échappé le sang recueilli par la terre de la phrase.

2.1 — Nous nous faisons des images des faits.
2.12 — L'image est un modèle de la réalité.


Retour au stade. Sur la ligne des 5 mètres cinquante. La pelouse à cet endroit rend un son non pas sourd mais différent du reste du terrain quand Warj ou l'un de ses défenseurs, plus rarement un attaquant de l'équipe adverse, y passe en courant — un demi-ton au-dessous.

Aucun filtre n'empêche la passion.

Planter puis retirer les mots du ventre du texte.

Warj pénètre, le sous-sol, son territoire, s'étend jusqu'à la ligne médiane, territoire de tuyaux et de pièces obscures, territoire de terreurs et de doutes, territoires de renoncements où l'eau mêlée de sang s'écoule en rigole le long des parois en béton brut sur lesquelles on peut lire parfois d'une écriture au spray

dehors, c'est dedans                attention, densité                        etc.

Chaque salle semble dévolue à des activités spécifiques sans qu'aucune d'entre elles ne puisse être déterminée avec certitude, ni même rapprochée de ce qu'auparavant nous faisions sur terre. Warj abaisse 3 leviers et se couche à même le sol dans un rectangle de 2 mètres sur 3 de terre. Le béton a été arraché. Il est probable que la terre soit froide, froide et humide, et que l'air soit saturé des conversations de surface, des conversations et des cris improbables qui filtrent et gouttent des plafonds, à hauteur toujours variable (entre 1 et 10 mètres).

Un soir, peut-être après un match, Warj et quelques amis au nombre desquels on pouvait alors compter Sol, mais qu'est-ce qui explique que l'on devienne ami avec un ancien ami dont l'un comme l'autre ont tout oublié?, un geste, une façon de se tenir, de prononcer les mots ou de représenter les choses? ils avaient allumé un feu au milieu du terrain, sans même craindre que la pelouse déjà roussie ne brûle plus, en accord avec l'entraîneur, qui se trouvait peut-être là, présent autour du feu, l'entraîneur, ou quelqu'un qui lui ressemblait d'où nous étions, qui servait du vin à l'équipe et roulait des cigarettes pour chacun, en accord avec le président qui devait baiser une pute dans une de ses maisons sur la côte, le président qui dirigeait deux autres affaires bien plus rentables que celle-ci.

Cela équivaut à ne pas se demander ce que l'on fait là.

La suite et fin démontrera (démontra) le contraire.

Les restes de l'écriture, dans une assiette. On trie. On fait la fine bouche. Le langage ne s'épuise jamais. La réalité ne s'épuise jamais. Je m'épuise. Je m'épuise toujours à essayer. Je m'épuise toujours à essayer de faire coïncider le langage et le monde qui me filent entre les doigts et passent à la trappe, comme si de recommencer de plus bas, au plus près de ce qui les abouche, leur donnait une chance de mieux correspondre l'un à l'autre (la correspondance ne se faisant que dans un sens).

2.13 — Aux objets correspondent dans l'image les éléments de l'image.
2.1511 — L'image est ainsi liée à la réalité; elle l'atteint.


Le match atteignit un degré de paroxysme 10 sur l'échelle du paroxysme de Bolaño qui en compte 12. Le ballon échappe à toutes prévisions. C'est un match de très haut niveau. Un match qui nous incline à penser qu'il n'y a pas de différence entre la poésie et le football. Qu'un bon footballeur, en fait, a les mêmes qualités qu'un bon poète — la technique, la précision, un regard aigu sur les choses, en l'occurrence le ballon, ses partenaires, la position des adversaires et une volonté sans fin de mieux faire.

L'air peut sembler tel et tel. Cela n'explique toujours pas pourquoi les choses dans l'air se ressemblent et tiennent encore debout.

J'arrive à la fin d'un cycle qui commémore tout ce qu'il est possible de commémorer sans tomber ni dans le nationalisme, ni dans le kitsch.

L'équipe de Warj remporte la partie 17 à 15, après prolongations. Elle est qualifiée pour la Ligue Intercontinentale des Champions. Le soir du match, Warj rentre chez lui à pied, avec son sac de sport sur l'épaule gauche. Il boite. Il a été aligné 2 heures, soit 50% de la durée totale du match. Ses statistiques ont été bonnes. Il a pris 5 buts, a retenu 19 shoot et a tiré 7 fois en direction des buts adverses, marquant une fois. Ce sont les meilleures statistiques de tous les gardiens engagés ce soir-là. Il est blessé à la cheville gauche, un tacle fautif, à l'épaule, il est retombé lourdement en plongeant à droite, et les courbatures qui le tiendront couché le lendemain commence déjà à se faire sentir.

Passage — à force de se tenir à l'extrême contemporain comme on dit dans certains milieux que je ne fréquente pas, on perd de vue deux choses qui me paraissent fondamentales, le chemin parcouru et le vide intégral sous nos pieds, ce terrible rugissement de la bête-réalité dont nous avons à rendre compte, chacun comme il peut, fermer cet œil, c'est alors se simplifier la vie, se jeter dans le train en marche des certitudes rances, au mieux la resucée des avant-gardes, mortes 3 x — 1, 2, 3, — c'est prendre les gens pour des cons, et à trop généraliser on se trompe, et à trop généraliser on

La troisième victime est découpée en 16 morceaux plus la tête à l'aide d'une scie et fourrée dans 5 sacs poubelles que l'on charge dans le coffre d'une voiture, le ciel est couvert, peut-être même qu'il pleut, on roule longtemps, jusqu'à la limite du désert, on sort une pelle et creuse, on enterre les cinq sacs à cinq endroits différents, dans un rayon de 10 kilomètres ça prend toute la nuit, ce à quoi un philosophe analytique demanderait mais où est vraiment la fille? en cinq points (comme elle a cinq lettres)? dans l'espace entre ces points? à la convergence de ces points (comme un centre qu'on leur trouverait)? ou désormais nulle part puisqu'elle est morte?

On a découvert des ballons dans les tombes égyptiennes qui montrent l’existence de jeux comme le football dans cette région dès 2500 ans avant notre ère. Pour les fabriquer, on mettait des cordes, des muscles et des tendons d'animaux dans une sphère et on l’enveloppait avec du cuir ou de la peau de daim. On connaît très peu de choses à propos de ces jeux.

Si j'y arrive, je porte la poésie plus loin (ou, du moins, j'étends l'extension et l'intension du mot "poésie").

Porter la poésie fait mal, le sac (à malices) est trop lourd et on finit par tout laisser tomber.

Ou désormais nulle part puisqu'elle est morte?

Il y a des historiens qui croient que pendant les rites de fertilité, on bottait des ballons de graines enveloppés avec des vêtements colorés.


La terre hétérogène. Muscle du monde. Trait fessier. Pierre, bois, vers — trois règnes. Enjeu d'une écriture. On est pris dans l'espace qu'elle dégage. Notre référence. On vole à partir de la terre. On atterrit, on touche terre (enfin). On ne s'échappe pas longtemps (sens), on retombe sur nos pattes (mouches). Il devient ainsi de plus en plus difficile de respirer sous terre. Mobile, et menace d'engloutir (tremblements) ou d'ensevelir (éruptions) notre territoire.

En Chine, dès 2500 avant J.C., on jouait au Tsu Chu. Tsu veut dire « donner un coup de pied au ballon » et Chu peut être traduit comme « ballon fait de cuir et bourré ». Selon les témoignages, le jeu était joué pendant l’anniversaire de l’empereur. L’objectif du Tsu Chu était de mettre le ballon avec le pied à travers l'ouverture d’un petit filet. Le filet était fixé avec des cannes de bambou. Le diamètre de l’ouverture était de 30 à 40 cm et il était placé à 9 mètres au-dessus de la terre.

Elle s'appelle Sofia. Elle a 23 ans. Elle est blonde et porte des cheveux longs. Elle mesure 1 mètre 70 centimètres. Elle travaille comme secrétaire dans une ambassade. Elle aime le sport et la lecture. Elle prend des cours de danse. Elle aime aussi se promener dans la nature. Elle n'est pas mariée. Elle a un petit ami. Elle le voit de temps en temps, en fin de semaine. Elle habite chez ses parents. Elle a un frère, plus jeune qu'elle. Elle veut reprendre ses études. Elle veut faire de la philosophie. Elle sait que ça ne sert à rien. Elle l'oublie et sa mère le lui répète sans arrêt.

Au passage du temps nous voulons rester insensible.

C'est que nous avons peur de la mort (ce qui est banal). Et peur de la vie.

Durant la Dynastie Ts’in (255 AC - 206 AC), une variante du Tsu Chu était employée pour dresser les soldats.

Et le philosophe analytique de se demander si les parties du corps ainsi séparées en cinq points divergents, c'est un fait établi, peuvent instancier des qualités propres à l'individu ainsi divisé, autrement dit, si les propriétés psychiques de cette fille peuvent être attribuées de façon biunivoque à l'un ou l'autre des éléments de ce cadavre, mais l'inspecteur Louis Schnellgenpierre chargé du cas ne faisait que peu de cas de ces considérations théoriques, et bien lui en prit comme nous verrons par la suite de l'affaire résolue, c'est du moins ce que l'on croit tous.

Le stade était éclairé avec des bougies. C'était un entraînement. Avant le feu d'artifice. Des joueurs couraient dans tous les sens. Un groupe était assis en tailleur devant un échiquier géant. Le numéro 8 déplaçait les blancs et le numéro 6 déplaçait les noirs. Un autre groupe tirait à l'arc depuis les 16 mètres sur une cible placée dans la lucarne des buts face à la tribune sud. Un troisième groupe travaillait au développement d'un muscle en particulier avec de gigantesques machines disséminées sur la pelouse. Enfin, des joueurs se promenaient de long en large en devisant, deux par deux. Au bout d'un moment, les couples changeaient, par exemple, le numéro 33 parlait avec le numéro 4, puis avec le 5 ou le 88.

En fait, l'inspecteur Schnellgenpierre avait de vagues notions philosophiques. Il savait ce qu'était l'Idée platonicienne et la différence entre Sinn et Bedeutung chez Frege. Ça lui suffisait à se faire une image du monde qui correspondait plus ou moins à celle du boulanger du coin, son ami Falschhals. Pour prendre un exemple, ils voyaient bien tous deux que la terre était plate et savaient qu'elle était ronde. Par ailleurs, ils se retrouvaient tous les samedis au café, pour bavarder et regarder passer les jolies filles, toutes ces inconnues au cœur de pierre, comme on dit, ou, du moins, qui ne daignaient pas tourner leur regard vers eux.

L'âme de pierre est dans la statue de pierre sur la place centrale du village de pierre.

La poussière est partout.

Et l'histoire impitoyable.

[…]